11 Avr Lundi 15 Mars 2021
Suis allé au lieu que j’appelle « l’Oliveraie » du côté de Bouskoura avec Aïcha et Ssi Mohammed. Nous y avons déjeuné. J’ai sélectionné livres et documents à prendre pendant qu’ils cueillaient avec Youssef, le gardien et neveu de Ssi Mohammed, des fèves. J’ai pris notamment le volume 1 d’une thèse de doctorat commise en 1981 sur le « Contrôle des Entreprises Publiques au Maroc » qui contient un chapitre sur la « Régie des Tabacs » que je connaissais de l’intérieur pour y avoir travaillé à la fin des années soixante et débuts des années soixante – dix. Je veux utiliser le contenu lié au tabac et au Kif dans les « Sentiers qui bifurquent ». Un recyclage que je crois vertueux. J’y lis ce passage : « A. An Naciri, reprenant dans « Kitab Al Istiqça » la version rapportée par Al Ifrani dans « Nouzhat Al Hadi », écrit à propos de l’introduction du tabac au Maroc : « En l’an 1001 (1592) on amena à Al Mansour un éléphant du Soudan. Le jour où cet animal entra dans le Maroc fut un véritable évènement : toute la population de la ville, hommes, femmes, enfants et vieillards, sortit de ses demeures pour contempler le spectacle. Au mois de Ramadan 1007 (28 Mars – 17 Avril 1599) l’éléphant fut conduit à Fès.
« Certains auteurs prétendent que c’est à la suite de l’arrivée de cet animal que l’usage de la funeste plante, dite « Tobacco », s’introduisit dans le Maghreb, les nègres qui conduisaient l’éléphant ayant apporté du tabac qu’ils fumaient prétendant que l’usage qu’ils en faisaient présentait de grands avantages » ».
Ici, c’est l’éléphant dont j’ai promis naguère que je parlerai un jour après avoir écrit quelques variations sur les ânes. Il n’y a que l’embarras du choix tant les histoires et dits liés à cet animal paisible, sauf quand il se met en colère, sont nombreuses. Je pourrais me suffire de citer le Saint Coran où le Créateur s’adresse au Prophète Mohammed et lui dit dans Sourate « Al Fil », sourate qu’on se lasse rarement d’appeler à la rescousse face à la force brutale : « N’as -tu pas vu comment ton Seigneur a agi avec les compagnons de l’éléphant ? N’a – t – il pas rendu leur ruse complètement vaine ? »…
En matière de ruse du diable, le malfaisant, le rusé, l’esprit tortueux du sieur « Musaylima Al Kaddab » qui prétendit être prophète au temps du Prophète lui fit croire qu’il pouvait rivaliser, Aoûdou Billah, avec le texte coranique en psalmodiant : « Al Fil Wa Ma Adraka Ma lfil lahou khourtoumoun tawil wa danaboun kassir…» (L’éléphant, et qu’est-ce que c’est l’éléphant, il a une grande trompe et une petite queue…). Le sieur Musaylima a terminé sa carrière transpercé par une flèche imparable.
Une autre histoire que l’on aime bien conter sous nos cieux est celle de l’éléphant de la ménagerie de Moulay Hassan 1er qui vivait en liberté dans les jardins du Méchouar et s’en allait tranquillement ravager les jardins des environs dès qu’une porte était ouverte. Voilà comment les frères Tharaud rendent compte de cette histoire plutôt comique que leur aurait contée Moulay Hafid : « … les propriétaires se réunirent et décidèrent de mettre à mort l’animal. Mais toucher au bien de Sidna, était grave ! On décida de tirer au sort qui tuerait l’éléphant. Le sort tomba sur un chérif qui n’avait pas d’enfants. Celui alors déclara : « Voilà donc votre façon à vous d’honorer le Prophète ! Pour enlever la vie à une simple bête sauvage vous risquez celle d’un chérif ! » La réflexion parut juste, et l’on convint que les chorfas seraient exemptés du sort. On recommença l’opération, et cette fois le sort tomba sur un pauvre tanneur. Lui aussi s’indigna : « Je croyais, s’écria – t – il que tous les hommes sont égaux devant notre Seigneur Mahomet. Mais je vois bien que vous préférez la vie d’un chérif célibataire à celle d’un pauvre diable chargé de quatre enfants. » Sa réflexion aussi parut tout à fait pertinente. Alors on décida de ne pas tuer l’éléphant, et d’envoyer simplement au Sultan une délégation de notables pour lui demander de tuer la bête, ou tout au moins de l’empêcher de sortir dans les jardins… Ils étaient deux cents au départ. Ils arrivèrent cinq au palais. Et quand ces cinq furent face à Moulay Hassan, qui savait bien ce qui les amenait et les regardait sans bienveillance, ils se mirent à trembler de tous leurs membres. Enfin l’un d’eux, rassemblant son courage, prit la parole et dit : « Sidna, ton éléphant est beau. Nous sommes heureux de le voir se promener dans nos jardins. Il n’y fait aucun dégât. Une seule chose nous attriste : cet éléphant est seul et nous venons te demander de lui donner une femelle ! » ».
« Al fil khassou fila », en bon arabe dialectal. Laissons le Maroc donc pour continuer du côté des Anglo-saxons. Aux Etats – Unis, l’éléphant est le symbole du Parti Républicain, symbole que Donald Trump personnifia, plus que quiconque, en se comportant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine avec, tout de même, un bénéfice collatéral pour nous qui l’absout à nos yeux. Mais attention, dans cette veine, il y a les Anglais pour qui l’expression “The Elephant in the room” (L’éléphant dans la pièce) signifie qu’un sujet aussi important, visible et évident qu’un éléphant qui se trouverait avec vous dans le même endroit est passé sous silence par peur ou embarras.
Il y a également ceux que l’on appelait les « Eléphants » du Parti Socialiste Français aux idées généreuses et au crane dégarni, dont la fébrilité a été coûteuse pour l’un d’entre eux et pour son parti, qui ont disparu de la scène tous comme les Mammouths chevelus dont il est resté quelque spécimens dans certaines administrations en France, en Navarre et ailleurs. Je suis tenté, ici, de raconter la « blague » de la fourmi amoureuse qui entreprend un éléphant et, délicate, lui susurre : « Chéri, j’espère que je ne te fais pas mal ? ». Un rien de pudeur me l’interdit, mais je suis sûr que certains lecteurs la connaissent.
Enfin, la parabole qui vient de l’Inde sous forme de poème des « Six Aveugles et l’éléphant » montre à quel point nous ne voyons qu’un petit bout de chaque chose quand elle a des proportions énormes. Il est vrai qu’ un « Eléphant ça trompe énormément », comme le soulignait le cinéaste Yves Robert il y a pas mal de temps.
Comme la « Journée Internationale de la Poésie » est proche, dégustons la parabole poétique en attendant :
Un jour de grand soleil, six aveugles originaires de l’Hindoustan, instruits et curieux, désiraient, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir…
Le premier s’approcha de l’éléphant
Et, alors qu’il glissait
Contre son flanc vaste et robuste,
Il s’exclama : « Dieu me bénisse,
Un éléphant est comme un mur ! ».
Le deuxième, tâtant une défense
S’écria « Oh ! Oh !
Rond, lisse et pointu !
Selon moi, cet éléphant
Ressemble à une lance ! »
Le troisième se dirigea vers l’animal,
Pris la trompe ondulante
Dans ses mains et dit :
« Pour moi, l’éléphant est comme un serpent ».
Le quatrième tendit une main impatiente,
Palpa le genou
Et fut convaincu qu’un éléphant
Ressemblait à un arbre !
Le cinquième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit :
« Même pour le plus aveugle des aveugles,
Cette merveille d’éléphant
Est semblable à un éventail ! »
Le sixième chercha à tâtons l’animal
Et, s’emparant de la queue qui balayait l’air,
Perçut quelque chose de familier :
« Je vois, dit-il, l’éléphant est comme une corde ! »
Alors, les 6 aveugles
Discutèrent longtemps et passionnément,
Tombant chacun dans un excès ou un autre,
Insistant sur ce qu’ils croyaient exact.
Ils semblaient ne pas s’entendre,
Lorsqu’un sage, qui passait par-là,
Les entendit argumenter.
« Qu’est-ce qui vous agite tant ? » dit-il.
« Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord
Pour dire à quoi ressemble l’éléphant ! »
Et chacun d’eux lui dit ce qu’il pensait à ce sujet.
Le sage, avec son petit sourire, leur expliqua :
« Vous avez tous dit vrai !
Si chacun de vous décrit l’éléphant
Si différemment,
C’est parce que chacun a touché
Une partie de l’animal très différente !
L’éléphant à réellement les traits
Que vous avez tous décrits. »
« Oooooooh ! » exclama chacun.
Et la discussion s’arrêta net !
Et ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité,
Car chacun détenait une part de vérité.
Je ne sais pas si les éléphants sont heureux en Inde, mais j’en ai vu, lors d’une visite, de nombreux qui circulaient benoitement sur les routes et d’autres chamarrés comme des Maharadjas …
Mangé au déjeuner à « l’Oliveraie » des salades et du poulet aux olives, ognons et citron et donné à manger à la chienne et à la chatte qui me regardaient avec leurs yeux suppliants, car fort heureusement personne n’élève d’éléphant autour de moi. Mais peut être est – ce moi qui fait l’éléphant dans un magasin de porcelaine.
Joué aux échecs en ligne.
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